Grâce au calcul intensif, l’organisme européen chargé des prévisions à moyen terme se donne dix ans pour anticiper plus tôt et plus finement les aléas de l’atmosphère.
Entre 1970 et 2012, les aléas de la météo ont provoqué 8.835 catastrophes naturelles, fait 1,94 million de morts et causé pour 2.400 milliards de dollars de pertes à l’économie mondiale. Ces chiffres de l’Organisation météorologique mondiale sont là pour nous rappeler l’importance vitale de prévisions météo précises, fiables et à échéance suffisamment lointaine pour laisser éventuellement le temps aux pouvoirs publics de parer à un événement extrême. Créé en 1975 et basé à Reading, en Angleterre, le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT), qui fédère 34 Etats et leurs services météo nationaux (dont bien sûr Météo-France), affiche dans ce domaine de nouvelles et grandes ambitions. Définie tout au long de l’année dernière en lien étroit avec ses « clients » – services météo de chaque pays, mais aussi chaînes météo, compagnies d’assurances, acteurs du pétrolier offshore, etc. -, sa stratégie pour 2016-2025 entend repousser encore les limites de la simulation des phénomènes atmosphériques. « Plus tôt » et « plus finement » en sont les deux mots d’ordre.
Actuellement, le CEPMMT utilise l’un de ses deux supercalculateurs Cray XC40 (l’autre sert à faire de la recherche) pour produire, deux fois par jour, une « prévision d’ensemble » à quinze jours d’échéance. Par prévision d’ensemble, il faut entendre une liasse de cinquante prévisions distinctes, une étant la prévision de référence et les quarante-neuf autres des copies légèrement divergentes portant la trace de minuscules variations dans les données initiales, ceci afin de tenir compte de possibles erreurs dans les observations.
Il faut dire que ces dernières sont nombreuses. « Le Centre est alimenté chaque jour par 40 millions d’observations, provenant à 90 % des satellites », indique sa directrice générale, Florence Rabier. Ces 40 millions de relevés viennent alimenter en données un modèle de l’atmosphère enveloppant le globe terrestre découpé en petits carrés de 18 kilomètres de côté, chaque carré constituant une sorte de pixel de l’image globale. « Cette maille est la plus fine au monde pour ce type de modèle. Même les Américains ne font pas mieux », relève la Française. L’objectif de la stratégie 2025 est pourtant de faire plus que tripler la résolution, en resserrant la maille à des carrés de 5 kilomètres de côté.
Phénomènes à fort impact
Bien sûr, un tel saut coûte extrêmement cher en puissance de calcul. Les experts du CEPMMT ont déterminé que, pour passer de 18 à 5 kilomètres en dix ans, il faudrait multiplier par 100 la puissance des supercalculateurs, chacun disposant actuellement d’une puissance de calcul de 8,5 pétaflops (ce qui en fait déjà les machines parmi les plus puissantes de toutes celles utilisées par la communauté météorologique mondiale). Mission impossible ? Pas forcément. « L’évolution passée montre que la puissance est décuplée tous les cinq ans en moyenne », note Florence Rabier. En outre, poursuit-elle, il ne sera pas forcément nécessaire d’atteindre ce facteur 100 si les améliorations apportées aux codes de calcul, qui sont à la base du modèle atmosphérique du Centre, portent leurs fruits. Un des leviers pour rendre ces codes de calcul plus efficaces est de réduire le plus possible les échanges de données entre des processeurs éloignés deux à deux parmi les milliers qui se trouvent au coeur de la machine. Favoriser des calculs plus locaux (entre processeurs voisins) permet de gagner du temps et donc de la puissance de calcul. Les informaticiens du CEPMMT s’y emploient.
Ce maillage 3,6 fois plus fin, en offrant une description plus précise de l’état initial de l’atmosphère, est la condition nécessaire à des prévisions plus fiables et de plus longue échéance. Aujourd’hui, les experts de l’organisme de Reading sont capables de prévoir la survenue de « phénomènes météorologiques à fort impact », tels qu’une tempête, en moyenne une semaine à l’avance, et parfois (dans de bonnes conditions) jusqu’à dix jours. L’objectif est de gagner trois jours, pour atteindre une prévision à dix jours en moyenne, et exceptionnellement à deux semaines. Quant aux « structures météorologiques à grande échelle », dont un bon exemple est la vague de chaleur qui a déferlé sur l’Europe en juillet et août 2015, elles seraient prévisibles en moyenne trois semaines à l’avance, et parfois jusqu’à quatre semaines. Enfin, les anomalies à plus grande échelle encore, comme El Niño, seraient annoncées avec un an d’avance en moyenne, contre sept mois actuellement. Etant donné la recrudescence de tels événements extrêmes – tempêtes ou canicules – dont semble s’accompagner le réchauffement climatique, et au vu des dégâts qu’ils provoquent parmi les populations et leurs biens matériels, on comprend tout l’intérêt de telles prévisions à plus longue échéance. Le superordinateur Cray du Centre de Reading ne se contente d’ailleurs pas de publier deux fois par jour ses prévisions à quinze jours. Il livre aussi, très régulièrement, des prévisions à quarante-cinq jours, et d’autres à sept mois. Bien entendu, ce qui est gagné en termes de durée se perd en résolution : la maille utilisée pour ces prévisions longues est beaucoup plus lâche, sans quoi le Cray surchaufferait assez vite !
Toutes ces prévisions, à commencer par les prévisions d’ensemble à quinze jours éditées deux fois par jour, sont complémentaires de celles réalisées par les services nationaux. Elles s’en distinguent par leur échéance plus longue – il s’agit, comme le nom même du CEPMMT l’indique, de prévisions à « moyen terme », par opposition au court terme de deux à trois jours auquel se limitent les services nationaux -, mais aussi par leur caractère global. « Les services nationaux comme Météo-France, explique Florence Rabier, s’en servent généralement comme conditions aux frontières. Cela leur permet de préciser ce qui se passe aux pourtours de leur propre modèle régional, dont la maille est plus fine. » Pour son modèle le plus fin, Météo-France descend en effet jusqu’à un maillage de seulement 1,3 kilomètre de côté. Ce qui ne l’empêche pas – parfois – de se tromper ! C’est ce qu’il y a de bien avec l’atmosphère : la modélisation de son évolution est tellement complexe, le temps qu’il fera tellement difficile à prévoir, qu’il y a largement du travail pour tous !
Yann Verdo
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